Binary Domain, c'est un TPS futuriste par l'équipe derrière les Yakuza. On incarne Dan, membre du Rust Crew, une troupe de forces spéciales, envoyée au Japon pour enquêter sur les mystérieux Hollow Children, des robots à l'apparence humaine. En chemin, on affronte quantité de robots "classiques" et un certain nombre de boss impressionnants, on tchatche avec ses coéquipiers pour leur donner des ordres ou juste entretenir ses relations et on upgrade son équipement.
Voilà pour la présentation succincte, avant de discuter en profondeur de tous les détails.
Tout d'abord, un jeu japonais : malgré tout le plaisir que j'ai eu à vivre les aventures de Kazuma Kiryu, ce n'est pas vraiment gage de qualité pour moi sur cette génération. Ce sont en tout cas souvent des produits bancals, qui trainent pas mal de conventions un brin dépassées et dont la finition peut laisser à désirer.
Une présentation qui laisse à désirer
Ca se vérifie ici dès les premiers instants avec cette interface disgracieuse. L'écran est continuellement assailli d'icônes en tout genre pour la moindre action : tutoriels envahissants, icone caméra et bouton triangle en plein milieu de l'écran pour centrer la caméra sur l'interlocuteur lors des dialogues, icône explicite dès qu'on peut se cacher derrière un muret ou passer par dessus, prompt pour découvrir les options de dialogue, etc. Les menus sont très peu adaptés aux télés SD avec leur police minuscule. Je veux bien avoir une part de responsabilité avec ma télévision désuète, mais les premières impressions ne sont pas très positives.
Le reste n'aide pas non plus vraiment. En tentant le TPS futuriste, on sent clairement les développeurs japonais courir après leurs rivaux occidentaux, notamment Gears of War et Mass Effect. On a donc droit à des soldats qui portent des armures au design plus que douteux. Enfin, ce n'est peut être pas spécialement ricain, vu le look du héros de Vanquish et celui de Raiden dans MGS4, mais ça m'inspire toujours quelques frissons de honte quand je prends la manette.
Des dialogues à tout et rien faire
Pleins d'ambition comme à leur habitude, les développeurs ne peuvent se contenter de proposer un TPS de base. On hérite donc de coéquipiers aux caractéristiques distinctes : la sniper, l'as du lance roquette, le pro du fusil à pompes, ou encore le robot français (!), chacun avec leur personnalité. Pour être sûr de bien pousser le concept jusqu'au bout, chaque personnage a une nationalité différente et on couvre tous les stéréotypes possibles. Notre personnage est le ricain prétentieux et casse cou, notre pote est le gros black qui s'exclame "Bro" toutes les deux secondes, on a le chef anglais strict et pince sans rire, la chinoise timide et sérieuse etc. Il y a une certaine volonté de jouer avec les clichés et de dépasser les premières impressions, mais on n'évite pas les moments embarrassants. L'un dans l'autre, on sent que le jeu tient à mettre en avant les personnages, à donner le temps nécessaire aux dialogues, quitte à nous les imposer un peu trop fréquemment, mais c'est plutôt positif puisqu'on finit par s'attacher à l'ambiance un brin potache qui s'installe dans le groupe. Rien de révolutionnaire, mais le robot à l'accent français prononcé est quand même mémorable.
Le problème réside dans nos interactions avec ses personnages. Guider ses coéquipiers en leur donnant des ordres témoinge d'un effort sympathique, enrichi de plus d'une composante relationnelle ambitieuse : vos partenaires suivent plus ou moins bien vos requêtes en fonction des relations que vous entretenez avec eux. Mais comme il est très difficile de se les mettre à dos à moins de leur tirer volontairement dessus ou de les envoyer bouler à chaque fois qu'ils initient la conversation, ce système est assez inutile. Mais surtout, on n'a jamais véritablement besoin de leur aide. Ils se débrouillent convenablement quand on les laisse agir à leur guise, et les ennemis ne sont pas assez résistants pour que les tactiques de coopération soient indispensables. Bref, une bonne idée sur le papier mais qu'on n'exploite jamais vraiment. Cerise sur le gateau, le jeu est censé proposer la reconnaissance vocale pour donner les ordres, mais après 15 minutes de calibration, il m'était toujours impossible de faire reconnaitre de manière fiable des commandes aussi basiques que "OK" ou "No".
Cependant, sans vouloir minimiser l'inutilité du système, le jeu n'en pâtit pas : on y joue comme à un simple TPS et l'expérience n'en est pas moins bonne.
Enfin, pour terminer avec l'aspect dialogues, le jeu vante les embranchements du scénario et l'influence de nos relations sur le déroulement de l'intrigue. Il m'a été difficile de voir exactement de quelle manière mes choix ont joué (hormis celui plutôt explicite de me lier avec une coéquipière) ou même s'ils ont eu le moindre impact sur le dénouement, mais les coéquipiers dont on s'entoure pendant les combats interviennent fréquemment avec leurs points de vue personnels. De ce point de vue, l'interaction entre les membres du groupe est bien mieux gérée que dans un Mass Effect, et nul doute qu'en refaisant le jeu avec d'autres partenaires, de nombreuses discussions puissent être découvertes.
Une gestion de l'équipement accessoire
Les ambitions du jeu se retrouvent également dans le système de customisation et d'upgrades des armes. L'arme principale de chaque personnage peut en effet être améliorée selon différents critères (portée, dégats, temps de rechargement, fréquence de tir, taille du chargeur, etc), et des upgrades spécifiques à chacun peuvent également être achetées (porter plus de trousses de soin notamment). Ces améliorations s'achètent grâce aux points accumulés au gré de nos performances : headshot, finish move au corps à corps, boss éliminé, etc. Si les améliorations apportées au fusil de notre héros sont bien sensibles (notamment en ce qui concerne la précision et les dégats), il semble souvent dispensable d'améliorer ceux de nos coéquipiers qui sont déjà fortement spécialisés : à quoi bon ajouter 10 mètres de portée à un sniper qui tire déjà à 200m ? ou ajouter 10 points de dégats à un lance roquettes ou un fusil à pompe qui font plusieurs centaines de point de dégâts ? L'abondance de points à distribuer et la faible rotation de l'effectif achèvent de diminuer l'aspect stratégique qu'aurait pu avoir cette gestion de l'équipement. Nouvelle cerise sur le gâteau, le menu de gestion de l'équipement est accessible par des terminaux dispersés dans les niveaux ; sachant qu'on est censé être en territoire ennemi, cela ne manque pas de briser l'immersion quand on s'achète des munitions supplémentaires en plein combat.
Une histoire pas vraiment à la mesure des enjeux
Venons en donc à l'histoire à proprement parler. De la part de la team Yakuza, il n'est pas surprenant de voir le scénario prendre une telle place dans l'aventure. L'intrigue se déroule en 2080, sur fond de réchauffement climatique et de montée des eaux ayant inondé la plupart des villes du monde. Le développement de la robotique a aidé le monde à surmonter ces changements, mais, dans la tradition des classiques de la science fiction, n'a pas été sans apporter son lot de complications, notamment concernant les robots à apparence humaine, qui ignorent eux-mêmes qu'ils sont des robots. Un scénario pas foncièrement original mais dont le point de départ n'est pas nécessairement crétin. On a droit aux rivalités nippo-américaines qui s'expriment aussi bien au niveau des corporations que des états major, à des groupes de résistance menant la guérilla dans les quartiers populaires. On a même droit à quelques séquences émotions bien mélos à base de trahisons, d'enfants en danger, ou d'amours à protéger. En somme le point de départ est ambitieux avec ces robots-humains qui semblent avoir infiltré la société, mais on en est quand même réduit à exploser de la ferraille qui ressemble à de la ferraille entre deux scènes peuplées de personnages plus ou moins clichés. Le jeu est censé nous montrer l'évolution du monde en nous faisant monter progressivement les couches de la société depuis les bas fonds engloutis jusqu'au quartiers huppés et aux bureaux high tech des multinationales. Si les extérieurs sont très réussis, avec de belles lumières, on termine malheureusement l'aventure dans des couloirs et des bâtiments impersonnels, factices et trop propres pour être honnêtes, à la Mass Effect. Les quelques passages de marche forcée, à un rythme atrocement lent qui plus est, et une poignée de cutscenes à la pertinence douteuse m'amène également à conclure que le scénario rate lui aussi le coche et n'atteint pas le but fixé par ses louables ambitions.
Des sensations exquises
Arrivé à ce point, le lecteur épuisé se demande peut-être s'il y a quelque chose à sauver derrière cet océan de critiques. La réponse est simplement oui, et repose sereinement sur les gunfights qui composent l'essentiel du jeu. Et plus précisément, les sensations assez exceptionnelles que procure l'abattage industriel de bataillons de robots. Si les contrôles peuvent surprendre au départ, ils s'avèrent au final parfaitement fluides et réactifs. Rien ne vient donc entraver le bonheur de descendre des milliers de carcasses métalliques. En effet, contrairement à nombre d'autres TPS où nos tirs semblent manquer d'impact, ici, chaque balle affecte nos cibles. La peinture vole en éclat, laissant apparaitre les entrailles métalliques de nos adversaires. La localisation des dégâts poussée réserve de belles surprises. Il est en effet possible de démembrer les robots, qui s'adaptent en conséquence : leur exploser les jambes les contraint à ramper vers nous sans qu'ils cessent de tirer, un bras qui vole en éclat et les voilà qu'ils ramassent l'arme tombée à terre avec l'autre. Enfin, détail tactique non négligeable, les décapiter les retourne contre leurs collègues. Une fois les quelques tirs en pleine tête bien alignés pour décapiter votre premier robot, celui-ci vous facilitera la tâche en accaparant l'attention des autres. L'effort nécessaire est donc bien récompensé et permet de retourner des situations tendues et de réduire drastiquement les rangs ennemis. La gestion des troupes ennemies en devient donc d'autant plus intéressante, entre les premières lignes à freiner en visant les genoux, les arrière gardes à décimer en retournant un des adversaires, tout en prenant garde à ceux qui se protègent derrière leurs boucliers ou qui sont largués en plein milieu du champ de bataille par des drones volants.
Un rythme bien maîtrisé
Pour ne rien gâcher les situations sont bien variées, avec des configurations d'affrontements multiples : à deux dans une rame de métro contre des agresseurs extérieurs, à 5 dans une arène remplie d'ennemis, en couverture du repli de ses coéquipiers, en fuite désespérée d'un robot gigantesque, des ennemis qui se dissimulent dans des écrans de fumée, etc. Le rythme est particulièrement bien géré avec quantité de situations spectaculaires et de bosses impressionnants venant pimenter le jeu entre deux affrontements plus ou moins classiques. Il s'agit souvent de tirer sur les points lumineux des bosses, mais les tactiques et l'armement employés diffèrent bien de l'un à l'autre. Quelques séquences de tir sur l'autoroute ou de poursuite en jet ski sont clairement moins inspirées, mais elles sont assez courtes pour ne pas déranger outre mesure. Dans l'ensemble, le jeu n'est pas très long ce qui lui permet de ne jamais vraiment lasser, même si cela peut surprendre. En effet, Yakuza 3 durait aisément 40 heures, et le développement des personnages de Binary Domain laissait croire qu'une épopée au long cours était possible. En l'état, on est bien plus proche du temps de jeu d'un Uncharted que d'un Mass Effect. On notera cependant la présence d'un mode online, que je n'ai pas testé, et la possibilité de rejouer les chapitres à son gré une fois le jeu terminé, toujours bienvenue.
Binary Domain est donc un jeu plutôt ambitieux, et l'héritage des Yakuza se fait sentir dans cette volonté d'en faire toujours plus, de pousser le personnage et le scénario, même si l'on reste comme dans les Yakuza dans les registres cheesy/potache/mélo. La parenté avec les Mass Effect est peut-être plus surprenante mais se vérifie à plusieurs reprises dans ce TPS qui n'hésite pas à emprunter certains aspects RPG, comme la gestion d'équipe et les dialogues omniprésents. Et si certains de ses efforts s'avèrent superflus, il reste au final un shooter bien rythmé aux sensations très gratifiantes.